Mont-de-Marsan

La base aérienne pendant la seconde guerre mondiale

Le bombardement du 27 mars 1944

Résumé

Entre leur arrivée à Mont-de-Marsan fin juin 1940 et l’arrivée des quadrimoteurs de patrouille maritime du FAGr 5 à l’automne 1943, les troupes allemandes vont transformer un champ d’aéro-club en une base aérienne. Mais cette menace aérienne en pleine préparation du débarquement en Normandie amènera le commandement allié à ordonner le bombardement du terrain de Mont-de-Marsan.


En parallèle avec ceux des terrains d’aviation de Biarritz-Parme et de Pau-Pont Long(1) le bombardement de la base aérienne allemande de Mont-de-Marsan, le 27 mars 1944, reste pour les Landes un des événements majeurs de la Seconde Guerre mondiale.

Si au fil du temps le sujet a déjà été abordé quelquefois de manière disparate voire inexacte c’est tout simplement parce que les documents qui permettaient d’avoir une bonne vision d’ensemble et la compréhension détaillée de la mission n’étaient pas disponibles.

L’information le concernant est disséminée en France au sein des archives municipales, départementales voire nationales ainsi qu’à l’étranger. Les sources principales sont en théorie les archives militaires allemandes à Fribourg et à Koblenz, les archives britanniques à Londres ainsi que les archives américaines à Washington et celles de l’US Air Force à Montgomery (Alabama). Au vu de la dispersion, il est facile de comprendre qu’il aura fallu un peu de temps pour tout rassembler.

S’agissant des archives françaises, je pense que tous ceux qui se sont intéressés à l’histoire de Mont-de-Marsan en ont déjà fait plusieurs fois le tour.

Du côté des archives allemandes, elles sont malheureusement très incomplètes et quasiment inexistantes pour le sud-ouest de la France en 1944. La sauvegarde des documents n’est pas la préoccupation première d’une armée en retraite. Le plus souvent on y met le feu avant de déguerpir. Au mieux, encore faut-il que le camion ou l’avion rempli d’archives parvienne jusqu’à Berlin, et, une fois là-bas, encore faut-il que les documents survivent aux divers bombardements et destructions…

Heureusement, il y a les archives américaines qui sont immenses, mais proportionnellement peu numérisées et qui, comme partout, demandent beaucoup de temps pour consulter le contenu des cartons.

Évidemment le bombardement de la base n’aurait pas eu lieu si la base n’avait pas existé. En l’absence de photographies ou de témoignages directs, il est difficile d’imaginer ce chantier gigantesque qui, en moins de trois ans, va transformer l’ancien aéro-club en une véritable base aérienne.

Les débuts de l’aviation à Mont-de-Marsan ainsi que la création de l’aéro-club pourraient, à eux seuls, faire l’objet d’un autre article complet. Ils ne sont donc pas abordés dans celui-ci.

À la fin des années 30, la ville de Mont-de-Marsan, qui a des difficultés financières pour entretenir le terrain d’aviation, imagine son transfert à l’État. Des plans pour la réalisation d’une base aérienne sont élaborés par l’État-major mais les travaux d’infrastructure ne seront jamais vraiment menés à terme.

Plans de la future base aérienne de Mont-de-Marsan
Figure 1
Les plans d’une future base aérienne à Mont-de-Marsan
Espace Patrimonial Rozanoff – BA 118.

La déclaration de guerre en septembre 1939, puis, de crainte qu’elle ne tombe aux mains des Italiens ou des Allemands, le repli sur Mont-de-Marsan(2) quelques mois plus tard de l’École de l’air de Salon-de-Provence, enfin le besoin de pilotes et la création d’une école de pilotage montrent, rapidement la nécessité de faire sortir de terre une structure adaptée. Le casernement de Lubet est créé. La maison principale est aménagée pour les officiers, des baraques sont construites pour accueillir les sous-officiers et les soldats.

Le casernement de Lubet
Figure 2
Le casernement de Lubet
Espace Patrimonial Rozanoff – BA 118.

Fin mai 1940, l’état-major français, visiblement encore plein d’espoir, demande une accélération des travaux permettant l’accueil de l’école de pilotage. Il est temps, car les Allemands sont déjà en France depuis le 14.

Avant même la signature de l’armistice le 22 juin, les aviateurs de Mont-de-Marsan tentent de quitter la métropole pour l’Afrique du Nord sans complètement y réussir et les logements de Lubet vont être réutilisés par les troupes d’occupation dans les semaines suivantes : comme dortoirs pour les servants de la batterie de Défense Contre Avions (DCA) du terrain tout proche et comme bureaux de la société STRABAG(3) qui, elle, va lancer la construction de la base aérienne au profit des Allemands.

En effet, les Allemands arrivent à Mont-de-Marsan dès le 28 juin 1940. L’Armée de terre prend ses quartiers à la caserne Bosquet, l’Armée de l’air (la Luftwaffe) dans plusieurs bâtiments publics réquisitionnés dont l’hôpital Sainte-Anne à partir de décembre 1940.

Soldats allemands dans la cour de la caserne Bosquet
Figure 3
Soldats allemands dans la cour de la caserne Bosquet
Musée du 34e R.I.

C’est à partir de 1941 que les travaux de la future base aérienne sont lancés.

Si l’encadrement est allemand, la main-d’œuvre est constituée par les prisonniers de guerre coloniaux présents dans les deux camps de Mont-de-Marsan, par des requis, des volontaires français ou étrangers et par les sociétés locales de travaux publics (Fig. 4).

Prisonniers de guerre coloniaux français travaillant dans la forêt sous la surveillance des sentinelles allemandes
Figure 4
Prisonniers de guerre coloniaux français travaillant dans la forêt sous la surveillance des sentinelles allemandes
Collection personnelle.

L’objectif est de pouvoir accueillir, à terme, des avions de patrouille maritime qui viendront épauler dans cette mission, les hydravions basés à Biscarrosse.

Junkers 290 sur la base de Mont-de-Marsan
Figure 5
Junkers 290 sur la base de Mont-de-Marsan
Collection personnelle.

Dans un premier temps, on va canaliser le ruisseau de Nonères pour avoir une carrière de sable à disposition, puis on va ensuite construire des parkings, des hangars, une voie ferrée et sa gare, une piste en béton de 2 000 mètres(4), des abris pour avions et quelques kilomètres de taxiways bétonnés au nord du terrain permettant la dispersion des avions en cas d’attaque. Il en reste quelques centaines de mètres bien connus des Montois.

C’est une base aérienne : on y retrouve principalement des avions et des équipages hébergés dans des établissements publics, des hôtels ou de belles villas réquisitionnées si possible pas trop loin de la base.

C’est le cas de la villa Lacaze ou de la villa Chantaco (Fig. 6) dans laquelle des graffiti allemands de cette époque ont été découverts l’année dernière.

Villa Chantaco à l’extrémité de l’actuelle avenue Rozanoff
Figure 6
Villa Chantaco à l’extrémité de l’actuelle avenue Rozanoff
Collection personnelle.

Si quelques témoignages font mention de la présence d’avions de chasse(5) (dont un escadron en provenance de Cazaux) dans le ciel montois, le document de référence(6) listant les différentes unités stationnées en France ne retient pour Mont-de-Marsan que la présence du FernaufklärungsGruppe 5(7) et sa mission de patrouille au-dessus de l’Atlantique à la recherche des convois alliés en charge de ravitailler l’Angleterre.

Junker 290 / A7
Figure 7
Junker 290 / A7
Collection privée.

Et si c’est la venue à Mont-de-Marsan à partir de l’automne 1943 des quadrimoteurs Junkers 290 qui va générer la construction de la base, c’est elle aussi qui va justifier son bombardement.

Le 27 mars 1944, dans le cadre de la préparation du débarquement en Normandie, les Alliés vont bombarder plusieurs terrains du sud-ouest de la France dont Biarritz-Parme, Pau-Pont Long et Mont-de-Marsan. Accompagnés par 960 chasseurs en couverture, 167 bombardiers lourds B-24 « Liberator » décollent du sud de l’Angleterre et 47 d’entre eux vont larguer sur le terrain de Mont-de-Marsan, un peu plus de 6 000 bombes de différents calibres(8).

B-24 « Liberator »
Figure 8
B-24 « Liberator »
Collection privée.

L’objectif est de neutraliser le terrain en détruisant la piste et les différentes infrastructures.

Quant aux appareils ennemis, ils sont dispersés au sol comme on peut les voir, identifiés par de petits cercles, sur la photo de reconnaissance (Fig. 9).

Photo de reconnaissance du terrain de Mont-de-Marsan avant le bombardement
Figure 9
Photo de reconnaissance du terrain de Mont-de-Marsan avant le bombardement
Collection personnelle.

Après une navigation de cinq heures, quelques minutes suffisent aux quatre vagues(9) pour larguer leurs bombes. Pour les bombes explosives, la zone visée recouvre la piste mais, par suite d’un dysfonctionnement du viseur de l’avion de tête, le largage ne peut se faire en automatique. Le navigateur-bombardier reprend alors en manuel la commande d’ouverture de la trappe à bombes mais ces quelques secondes de retard les font tomber au-delà de la piste, sur la partie nord du terrain.

Cliché section 1
Figure 10.
Cliché section 2
Figure 11.
Cliché section 3
Figure 12.
Cliché bombardement
Figure 13
Photos prises par les différentes vagues de bombardement
Collection personnelle.
Photo prise par l’un des bombardiers en quittant l’objectif
Figure 14
Photo prise par l’un des bombardiers en quittant l’objectif
Les taxiways de dispersion sont bien visibles
Collection personnelle.

Dès le retour de mission, les interrogatoires des équipages et le développement des pellicules des caméras embarquées permettent de rédiger les divers rapports d’interprétation.

Rapport d’interprétation montrant les impacts des bombes explosives et des bombes à fragmentation
Figure 15
Rapport d’interprétation montrant les impacts des bombes explosives et des bombes à fragmentation
Collection personnelle.

Une photo de reconnaissance prise quelques jours plus tard permet enfin d’avoir une vue globale des destructions.

Photo de reconnaissance du terrain de Mont-de-Marsan prise le 5 avril 1944
Figure 16
Photo de reconnaissance du terrain de Mont-de-Marsan prise le 5 avril 1944
Collection personnelle.

Conclusion : le terrain est à nouveau opérationnel comme le montre un avion en attente au point de manœuvre.

D’un point de vue militaire, les résultats du bombardement sont moyens(10) mais, contre toute logique, il n’y en aura pas d’autre à Mont-de-Marsan.

Objectif important, la base est protégée par une ceinture de batteries de DCA que l’on retrouve sur certains points hauts (Saint-Pierre-du-Mont, Lycée Charles Despiau) mais aussi du côté du cynodrome actuel, au Peyrouat ou à Saint-Avit.

On y trouve des canons de calibre modeste (20 mm) d’une portée limitée mais aussi des batteries de 88 mm beaucoup plus destructrices car pouvant tirer 15 obus de 11,35 kg à plus de 10 000 mètres en une minute.

Bien que volant aux alentours de 17 000 pieds (environ 5 km) deux B-24 sont touchés par la « Flak(11) », et les équipages de chacun de ces appareils vont connaître des destins complètement différents.

Bombardiers B-24 « Liberator » du 392e Groupe de Bombardement au-dessus du terrain de Mont-de-Marsan le 27 mars 1944
Figure 17
Bombardiers B-24 « Liberator » du 392e Groupe de Bombardement au-dessus du terrain de Mont-de-Marsan le 27 mars 1944
Collection personnelle.

À 14 h 38, le N° 42-109836 quitte la formation et tente de rejoindre le terrain de Bilbao mais touché à nouveau au passage de la côte, il se crashe en mer au large de Capbreton faisant 6 tués(12) et quatre prisonniers sur les 10 hommes présents à bord.

Capitainerie de Capbreton<br/>Plaque commémorative pour l’équipage du B-24 42-109836
Figure 18
Capitainerie de Capbreton
Plaque commémorative pour l’équipage du B-24 42-109836
Photo Evelyne Levaufre.

Le N° 41-29554 est touché à 14 h 56 et il met lui aussi le cap sur l’Espagne au-dessus du golfe de Gascogne. L’équipage, plus chanceux, est sauf après avoir quitté en parachute l’appareil qui se crashe à proximité du terrain de Bilbao.

À partir du 6 juin 1944, date du débarquement en Normandie la pression sur les Allemands se fait de plus en plus forte, notamment avec l’activation des réseaux de résistance locaux. Les troupes terrestres régulières ayant migré vers le front de Normandie ne restent dans le sud-ouest que des troupes exotiques (Hindous, Cosaques…) et la Luftwaffe qui n’est pas vraiment préparée à des missions locales de maintien de l’ordre, comme en témoignent les opérations menées à Saint-Justin, Grenade-sur-l’Adour ou Estang où elle intervient avec des Heinkel 177, de lourds appareils inadaptés. En juillet, l’un d’entre eux va s’écraser à Uchacq.

Le 15 août le débarquement en Provence ne fait qu’accroître chez les militaires la peur d’être pris en tenaille entre les troupes alliées venues de Normandie et celles venues de Provence.

Le 16 août 1944, un équipage envoyé à Berlin pour y recevoir des ordres directs de l’État-major rapporte à Mont-de-Marsan l’autorisation tant attendue de battre en retraite.

Avec des difficultés au décollage, les premiers avions remplis au-delà des limites raisonnables quittent le terrain montois dès le lendemain.

Les jours suivants les derniers appareils s’envolent en direction de l’Allemagne alors qu’en parallèle un convoi hétéroclite de véhicules et de personnels part de la base aérienne pour la même destination.

Sous la pression de la résistance, les dernières troupes allemandes quittent Mont-de-Marsan dans la nuit du 20 au 21 août 1944. La veille le capitaine Mellows est arrivé pour coordonner l’action des différents groupes de la résistance et recevoir la capitulation de la garnison locale. Son chef, le commandant Bauer, demande un temps de réflexion qu’il va mettre à profit pour s’enfuir avec sa troupe.

Le lendemain matin, 21 août, les Allemands en fuite sont accrochés à Cère et, alors que les FFI défilent dans Mont-de-Marsan, le soir même, un combat autour du pont de Bats oppose les défenseurs locaux à une colonne ennemie en provenance de Dax. Il va faire 5 morts du côté allemand et 4 du côté français (adjudants Siot et Clapot, capitaines Croharé et Mellows).

Avant leur départ, conformément à la politique habituelle de la terre brûlée, les troupes d’occupation « pétardent » plusieurs hangars, minent la piste et sabotent les avions qui ne sont pas en état de vol.

Dans les jours suivants, sous les ordres du colonel Pinot, désigné par Léon des Landes pour remettre la base en état(13), des prisonniers italiens et des FFI locaux s’affairent pour rendre la piste à nouveau opérationnelle.

De nouveaux appareils s’y posent rapidement et la base créée par les Allemands retrouve son activité aérienne mais cette fois-ci sous le contrôle de soldats français.

Les baraques construites par les Allemands ne restent pas longtemps inoccupées et dès le printemps 1945, la base aérienne accueille des contingents venus y faire leur service militaire.

Le hangar de l’aéro-club après le départ des troupes allemandes en août 1944
Figure 19
Le hangar de l’aéro-club après le départ des troupes allemandes en août 1944
Espace patrimonial Rozanoff – BA 118.

Mais c’est à l’automne 1945 avec l’arrivée du colonel Kostia Wladimir Rozanoff et l’installation du Centre d’Expériences Aériennes Militaires que la base aérienne de Mont-de-Marsan va réellement débuter sa nouvelle existence et connaître un développement qui n’a jamais cessé jusqu’à ce jour. ◼

Bibliographie

LEVAUFRE C., 2018, Mont-de-Marsan et autres lieux – Un jour de mars 1944, Mont-de-Marsan, Éd. AAL-ALDRES, 178 p.


  1. Le terrain de Biarritz héberge depuis 1943 un escadron de la «  agdGeschwader 101 », l’école de pilotage basée à Pau, dont l’as de la Luftwaffe Walter Nowotny doit venir prendre le commandement le jour même.
  2. Les promotions d’aviateurs se répartissent entre les sites de Bordeaux-Mérignac, Landes de Bussac et Mont-de-Marsan.
  3. STRAsse Bau Gesellschaft (compagnie de construction de voirie).
  4. Elle sera portée à 2 450 mètres en 1944.
  5. Messerschmitt 109, Focke-Wulf 190.
  6. Verbände und Truppen der deutschen Wehrmacht und Waffen-SS im Zweiten Weltkrieg 1939-1945. Formations et troupes de l’Armée [allemande] et de la Waffen SS durant la 2e Guerre mondiale.
  7. Groupe de reconnaissance lointaine.
  8. 262 bombes de 500 livres et 996 clusters de 120 livres contenant chacun 6 bombes de 20 livres.
  9. 30 appareils du 44e Groupe de Bombardement, 16 du 392e et 1 du 445e.
  10. Les victimes : 13 morts et 10 blessés parmi la population civile, les militaires italiens et le personnel travaillant pour les Allemands. 5 ou 6 morts parmi les troupes d’occupation.
  11. Surnom de la Défense Contre Avions allemande.
  12. Dont le lieutenant Paul Baum qui fut enterré provisoirement dans le cimetière du Centre à Mont-de-Marsan.
  13. AD Landes 140 J3.
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