Le CESAR : j’ai ramassé 4 Pains
Une histoire de contrôleur.
Les premières salles d’opérations de nos stations de Défense Aérienne étaient identiques à celle présentée dans le film sur la bataille d’Angleterre : une grande « cuve » souterraine sur trois niveaux entourée de nombreuses cabines derrière des glaces. En 1963, la Défense Aérienne adopte le CESAR (Complexe d’Exploitation Semi Automatique des Renseignements Radars) successivement et à six mois d’intervalle à Contrexéville, à Romilly, à Doullens puis au Mont Agel à son ouverture. Cette salle d’opérations constituait une véritable révolution car elle regroupait sur un seul niveau toutes les fonctions, avec des moyens de visualisation et de transmission internes modernes et bien adaptés. À l’étage inférieur, on trouvait des rangées d’armoires bleues scintillantes de voyants colorés ou régnaient les techniciens de permanence et partout l’indispensable multitude de câbles dissimulés dans des cheminements à l’abri de la poussière et des pieds trébuchant.
Le CESAR a été le pas nécessaire vers le STRIDA (Système de Traitement et de Représentation de Informations de Défense Aérienne) dont les premières stations (Drachenbronn et Mont‑de‑Marsan) ont commencé à fonctionner en 1964. Mais, bien qu’apportant des avantages substantiels, le CESAR et ces versions du STRIDA étaient pénalisés par le médiocre fonctionnement de la « poursuite », cette fonction qui permet notamment au calculateur de générer les ordres pour la conduite des intercepteurs.
Dans le CESAR, la poursuite et la création des pistes fonctionnaient bien pour les vols aux évolutions lentes mais elle perdait les échos radars des avions aux évolutions fréquentes ou serrées. Le contrôle d’interception comportait quatre postes manuels et deux Cellules Semi Automatiques (CSA) ; les contrôleurs délaissaient ces CSA car ils perdaient du temps à « raccrocher » la poursuite de leur intercepteur et de sa cible, notamment pour les interceptions à grandes performances des Mirage III qui venaient d’entrer en service. Et, évidemment, ce temps perdu à « raccrocher » leur faisait bien souvent rater leur interception.
À Romilly, les ordres étaient d’utiliser les nouveaux équipements ; j’étais alors commandant d’escadron et notre commandant de CDC - qui nous arrivait de la 1ère Escadre et que nous estimions beaucoup – m’avait déjà pris en flagrant délit ; j’essayais bien de lui démontrer qu’avec leur entraînement, nos contrôleurs réussissaient mieux « en manuel » qu’avec une machine réticente… ça n’avait pas marché et les ordres étant les ordres, j’avais entendu : « Vous aurez quatre jours d’arrêts pour indiscipline intellectuelle ». Pan !
Alors j’ai transmis l’ordre, bien sûr ; mes guss rechignaient mais on s’est entraîné un peu plus ; j’ai donné l’exemple… Et enfin, le problème est devenu moins brûlant.
Néanmoins pendant des mois, je me suis promené avec mes quatre pains sur la rate, que le Chef avait sans doute oubliés (?) car à la notation suivante, ils avaient disparu ! Ouf !
Dans le CESAR, il y avait encore un autre monstre : l’allocateur d’armes (choix des armes face à une menace aérienne) particulièrement pointu à programmer… Et là encore, notre commandant…
Nous nous sommes mis à deux commandants d’escadron pour le convaincre que c’était un outil pour les contrôleurs de zone (Romilly embarquait alors le COZ) puisque leur job était de faire décoller les avions d’alerte ! Mais ces chefs là n’y sont jamais venus (pas fous) ; il faut dire que le choix n’était pas particulièrement ardu puisque l’avion d’alerte était généralement unique et sur un seul terrain de la Zone. On ne nous en a donc plus parlé.
Cette console n’a pas survécu au CESAR mais elle a longtemps porté la serviette et la casquette du commandant de l’escadron armant la salle… jusqu’à ce qu’on gagne un peu de place ! ■