La carrière d’Hélène Boucher
Née en 1908 à Paris, Hélène Boucher séjourna souvent à Boigneville (hameau situé dans la commune d’Yermenonville), où ses parents avaient une maison. Son père était né en 1868 à Epernon.
Titulaire d’un brevet de pilote en 1931, elle connut une brève mais exceptionnelle carrière d’aviatrice : raids, meetings aériens, haute voltige, record mondial d’altitude, records mondiaux de vitesse (aux commandes du Caudron Renault Rafale, un des meilleurs avions du moment), jusqu’au fatal accident du 30 novembre 1934, près de Guyancourt.
Première femme à recevoir un hommage national aux Invalides, elle fut inhumée dans le cimetière d’Yermenonville.
La famille a fait don à la commune d’Yermenonville de papiers, photographies et objets personnels d’Hélène Boucher. Une partie en est présentée dans le petit espace muséal aménagé par la mairie d’Yermenonville. C’est sur ces documents, dont certains sont tout à fait inédits, que s’appuie cette narration de la carrière d’Hélène Boucher. Nous n’avons pas souhaité rédiger une biographie complète : il en existe de nombreuses, plus ou moins romancées. Nous avons préféré retracer toutes les étapes de sa carrière de pilote, en apportant un éclairage nouveau grâce aux documents en notre possession.
Nous remercions tout particulièrement la commune d’Yermenonville, le Conseil Départemental d’Eure-et-Loir, le Fonds pour le Développement de la Vie Associative (FDVA), les membres de l’association « Les amis d’Yermenonville », Mme Karine Bellart (Service du patrimoine de la ville de Rue – Musée Caudron), Mme Christine Debouzy (Association Française des Femmes Pilotes), le colonel (H) Robert Marty (Base aérienne 118, Mont-de-Marsan), Mme Michelle Seignette et Mme Florence Sirbain.
Naissance d’une vocation
Lorsqu’Hélène Boucher naît, le 23 mai 1908, sa famille habite au 280 boulevard Raspail à Paris, puis déménage au 169 rue de Rennes. Une plaque rappelant qu’elle y a vécu est de nos jours apposée sur cet immeuble.
En 1917, sa famille l’inscrit au collège Sévigné, rue de Condé à Paris, où elle fait la connaissance d’Augusta van Dongen, surnommée Dolly, la fille du célèbre peintre. Hélène Boucher et Dolly van Dongen deviennent des amies inséparables. En 1987, bien après la mort d’Hélène Boucher, Dolly van Dongen se fera enterrer à côté de son amie, dans le cimetière d’Yermenonville.
En mai 1918, la famille Boucher s’installe à Boigneville, en raison des bombardements de Paris. Hélène Boucher est alors inscrite à l’école d’Yermenonville.
À la fin de ses études, en 1924, Hélène Boucher fait un séjour linguistique de trois mois à la pension Fletcher, dans l’île de Wight. Elle y apprend parfaitement l’anglais, ce qui lui sera fort utile.
Pendant sa jeunesse, Hélène Boucher manifeste de l’intérêt pour la mécanique, la moto et l’automobile. Elle apprend seule à piloter la moto de son frère aîné, et passe son permis de conduire auto à seize ans.
Il semble qu’un triste événement soit à l’origine de la vocation de pilote d’Hélène Boucher : un ami proche d’Hélène et de son frère aîné Noël, Jean Huber, élève pilote militaire, se tue dans un accident d’avion en 1930. C’est, dit-on, pour venger sa mort et prendre une revanche sur le mauvais sort, qu’Hélène Boucher pense à devenir pilote à son tour.
Le 4 juillet 1930, elle est accompagnée à Orly par son ami pilote Roger de Grésigny pour un baptême de l’air. Elle vole sur un De Havilland DH 60 Gipsy Moth piloté par Henri Le Folcalvez, premier moniteur du centre d’Orly. Henri Liaudet y est second moniteur ; nous le retrouverons bientôt, jouant un rôle de premier plan dans les débuts d’Hélène Boucher.
Pendant des mois, Hélène Boucher se rend régulièrement à Orly, où elle se familiarise avec l’aviation et le milieu des pilotes et mécaniciens, et y noue déjà des amitiés.
L’apprentissage du pilotage
En février 1931, l’industriel Henri Farbos, fondateur et président de l’Aéroclub des Landes à Mont-de-Marsan, annonce à Hélène Boucher qu’une bourse de 1 500 F sera accordée à la première femme inscrite à son école de pilotage.
Le 18 mars 1931, ayant décidé sa famille, Hélène Boucher part pour Mont-de-Marsan où elle sera hébergée par la famille Farbos, et traitée comme un enfant de la famille. Son instructeur sera Henri Liaudet, recruté comme moniteur par l’Aéroclub des Landes. Un des autres apprentis pilotes est Charles Navarre, cousin de Jean Navarre, pilote et as de la première guerre mondiale. Les autres élèves s’appellent Blanc, de la Brosse, Dabadie, Labat et Laborie.
Sans perdre de temps, Hélène Boucher prend sa première leçon de pilotage le 21 mars 1931, à bord d’un DH 60 Gipsy Moth, immatriculé F‑ALHI.
Cette période d’apprentissage à Mont-de-Marsan est un moment de bonheur et d’enthousiasme pour Hélène Boucher, comme en témoignent les nombreuses lettres envoyées à ses parents, malgré des difficultés financières récurrentes.
Son aptitude à piloter à la fois en finesse et avec détermination se révèle très vite. Malgré une longue interruption due à une panne de son avion, son apprentissage est rapide.
Premier atterrissage, seule aux commandes, avec Henri Liaudet à bord, le 28 avril.
Premier lâcher seule à bord le 15 juin. Le 20 juin, elle fait la connaissance d’Adrienne Bolland, aviatrice célèbre pour son épique survol de la cordillère des Andes en 1921. Celle-ci, venue pour un meeting le lendemain, la complimente sur son talent.
Le 21 juin 1931, Hélène Boucher passe avec succès les épreuves du brevet de pilote d’avions de tourisme, avec seulement à son actif 18 h 50 de vol, mais cent cinquante neuf atterrissages en double commande, et trente atterrissages seule. Le brevet lui sera officiellement remis le 22 juillet 1931, sous le numéro 182.
Le premier avion d’Hélène Boucher et la préparation du brevet de transport public
Avoir son brevet de pilote, c’est bien : cela permet de piloter. C’est une étape importante pour elle. Depuis sa jeunesse, on la surnommait « Léno » dans sa famille, et son père lui avait même fait imprimer du papier à en-tête portant ce nom : Léno BOUCHER. Un de ses amis, le journaliste Jean Debia, témoignera plus tard dans Candide, le 6 décembre 1934, d’une conversation avec elle très révélatrice : « Ne m’appelez plus Léno mais Hélène, voulez-vous… Maintenant je ne suis plus la petite fille que vous avez connue, je suis Hélène Boucher, pilote brevetée ! ». De fait, si elle continua d’utiliser son papier à en-tête, elle y rayait souvent le mot « Léno ». Ce surnom ne sera plus utilisé qu’en famille.
Mais une licence de pilote de tourisme ne permet pas de gagner sa vie, ce qui est l’objectif d’Hélène Boucher, par exemple en transportant des passagers payants. Il faut pour cela obtenir le brevet de transport public, en ayant accumulé cent heures de vols et l’expérience des vols de nuit.
En janvier 1932, elle achète un DH 60 X Gipsy Moth de 85 CV, immatriculé F‑AJKM, installé au Bourget. Cet appareil, fabriqué en France par Morane-Saulnier sous licence De Havilland, était auparavant la propriété du pilote Henry Boris. Il est très semblable à l’avion de son baptême de l’air, et à celui de son apprentissage à Mont-de-Marsan.
Elle vole sur son avion pour la première fois le 25 février 1932, et commence un entraînement intensif.
Du 25 au 31 mars, elle effectue un voyage circulaire en compagnie de son ami Roger de Grésigny : Le Bourget, Lyon, Marignane, Cannes, Lyon, Le Bourget.
Du 27 avril au 2 mai, elle part, seule à bord, pour un tour de France rapide : Le Bourget, Lyon, Nîmes, Carcassonne, Toulouse, Biarritz, Cazaux, Rochefort, Tours, Le Bourget. Ce voyage témoigne de son assurance et de sa confiance en elle : plus besoin de mentor…
Le 13 mai 1932, après un aller-retour Le Bourget-Lyon et un vol d’entraînement, Hélène Boucher atteint les cent heures de vol nécessaires pour tenter le brevet de pilote de transport public, et réalise l’indispensable vol de nuit.
Et enfin, en juin 1932, elle obtient son brevet de pilote de transport public.
Le deuxième avion d’Hélène Boucher : un Avro Avian britannique
Pour se faire connaître, Hélène Boucher a maintenant l’ambition de réaliser un grand raid, pour lequel son modeste Gipsy Moth ne suffit pas. On lui avait parlé d’un avion d’occasion plus adapté à cette performance, qu’elle était allée voir à Croydon (Grande Bretagne) fin mai 1932, à bord de son propre avion.
Il s’agit d’un Avro Avian 616, à bord duquel le britannique Tommy Rose avait tenté un raid Londres-Le Cap et retour, qui s’était terminé par un accident (crash) en Egypte. Ne s’arrêtant pas à ce mauvais présage, Hélène Boucher prend en considération les atouts de cet avion inélégant : sa cellule est construite avec des tubes en acier soudés, assurant solidité et facilité de réparation (on verra que ce ne sera pas inutile), et le long rayon d’action de cette version « Long Range » est assuré par un réservoir supplémentaire installé dans l’espace habituellement réservé au passager, devant le pilote. La propulsion est assurée par un moteur Cirrus Hermes de 105 CV, dont la réputation est médiocre (De Havilland avait abandonné ce moteur sur ses Moth, au profit du moteur Gipsy qu’il avait entrepris de fabriquer lui-même).
Le 15 juin, Hélène Boucher écrit à la firme Henlys pour lui proposer l’achat de cet Avro Avian Long Range d’occasion pour 40 000 F ; Henlys accepte le lendemain, et la vente est effective le 14 juillet pour 450 livres. Le lendemain, Hélène Boucher obtient l’autorisation de voler sur cet appareil, qui conservera son immatriculation britannique G‑ABIE. Le 18 juillet, Hélène Boucher ramène l’Avro de Croydon au Bourget.
Sans perdre de temps, Hélène Boucher part pour Cannes via Lyon, afin de participer au rallye Cannes-Deauville qui a lieu le 23 juillet 1932. Premier incident moteur près de Prémery (à proximité de Nevers). Après un atterrissage de fortune et un plein d’huile, grâce à un mécanicien local, elle repart, mais aussitôt une nouvelle et sévère panne de moteur l’oblige à se poser dans un bouquet d’arbres. Elle est indemne, mais l’Avro est sévèrement endommagé et doit être expédié au Royaume‑Uni pour être réparé.
Le 8 août, Hélène Boucher, qui a repris ses vols d’entraînement sur son Gipsy Moth, le pilote pour la dernière fois, en le menant à Mont-de-Marsan, où elle l’a vendu à Charles Navarre, son compagnon d’apprentissage.
Elle n’a plus que l’Avro, qui sera examiné par un expert de Henlys au Bourget.
Le 13 septembre, la firme Henlys prend des dispositions pour transférer l’avion à Croydon pour le réparer et faire vérifier le moteur chez Cirrus Hermes. Le 30 novembre, la facture est présentée à Hélène Boucher : 110 livres chez Henlys pour des ailes d’occasion peintes argent avec immatriculation en noir ; 142 livres pour la réparation du moteur chez Cirrus Hermes (rappelons qu’elle a payé l’avion 450 livres). Le 9 décembre, Hélène Boucher paye la facture d’Henlys et entame de vifs échanges avec Cirrus Hermes à propos de la consommation d’huile et du circuit d’alimentation en essence. Elle n’est manifestement pas prête à payer… Ce n’est que le début d’une relation conflictuelle entre elle et le motoriste !
La tentative de raid Paris‑Saïgon
À partir de décembre 1932, Hélène Boucher s’entraîne régulièrement à piloter son avion réparé, et prépare un raid Paris‑Saïgon et retour, itinéraire choisi sur le conseil d’amis pilotes expérimentés. On mesure ici son audace : un tel raid n’est pas une mince affaire, elle partira seule à bord, elle n’a que vingt-quatre ans et une expérience limitée.
Elle envoie une lettre au ministère de l’air pour obtenir les autorisations de survol ou d’atterrissage dans les pays traversés et aura une réponse positive en une semaine. Elle écrit le 26 décembre à Paul Painlevé, ministre de l’Air, pour présenter son projet de voyage à Saïgon, démontrer son caractère de propagande pour l’aviation française, et demander une aide financière complémentaire à son propre investissement. Est jointe une note faisant état de son voyage en tant que femme seule, et demandant des appuis moraux auprès des responsables des affaires étrangères dans les pays survolés. Hélène Boucher obtiendra un soutien moral, mais pas d’argent.
Cela ne l’arrête pas, et elle commence à faire preuve d’un autre de ses talents, souvent méconnu : c’est une femme d’affaires qui n’hésite pas à passer des contrats pour trouver des financements. Ainsi, l’Empire Oil Company lui accorde gratuitement l’envoi au Bourget de quatre litres d’huile « FirePoint » ainsi que deux caisses à Athènes et Bagdad, et annonce une contribution financière de 1 000 F avec promesse d’une prime de 1 500 F au retour, doublée s’il a lieu dans moins de quarante jours.
Elle obtient aussi 3 000 F pour peindre sur le côté gauche de l’avion le nom de la marque « Foire de Paris », et passe un contrat de 5 000 F avec le champagne Pommery & Greno pour peindre sur le côté droit de l’avion le nom de la marque, et reçoit quatre demi-bouteilles de champagne emportées à bord. Hélène Boucher s’engage à parler du champagne Pommery à son arrivée à Saïgon (contrat réduit à 2 500 F si l’avion n’arrive pas au but). La débutante se débrouille bien ! Cirrus Hermes a beau écrire pour rappeler sa facture impayée, ce n’est pas son souci du moment…
Le 6 février 1933, premier départ du raid. Le mauvais temps oblige Hélène Boucher à se poser à Auxerre, puis à rebrousser chemin. Le vrai départ a lieu une semaine plus tard, le 13 février. Première étape à Pise, atteinte le soir. Le 14, départ pour Naples. Le moteur commence à faire des siennes : un problème de joint d’échappement l’oblige à faire une étape à Cerveteri, non loin de Rome. Une fois à Naples, après une journée d’étape en raison de la météo, vol vers Athènes. Trois jours d’étape pendant lesquels elle visite et fait du shopping ; son goût pour les beaux vêtements se manifeste : elle s’achète un tailleur marron qui sera embarqué dans l’Avro.
Le 20 février, départ vers la base de Mouslimié près d’Alep, où les pilotes militaires français réservent un accueil chaleureux à la jeune aviatrice.
Le 21, départ vers Bagdad. Un sérieux problème de moteur oblige Hélène Boucher à se poser à Ramadi, petit terrain dont elle a le plan, son raid ayant été soigneusement préparé à l’aide de ses amis pilotes.
En empruntant un vol d’Air Orient, Hélène Boucher se rend le lendemain à Bagdad pour y chercher de l’aide. Le 23, elle effectue un aller-retour Bagdad-Ramadi avec un expert du bureau Véritas, M. Chauvain pour examiner l’avion. Verdict sans appel : le bloc moteur est fendu. On s’apercevra plus tard que le collecteur d’admission est également cassé.
L’expert indique, en sus de son croquis (ci-dessus), que « la cause ne peut être attribuée qu’à un défaut de résistance du métal… Le moteur ne présente aucun signe de fatigue anormal ».
Un véritable calvaire commence alors pour Hélène Boucher.
L’Avro est transporté péniblement par camion de Ramadi à l’aérodrome de Bagdad Ouest, dans un hangar de la RAF. Alerté, Cirrus Hermes annonce le 27 février l’envoi d’un bloc moteur déjà assemblé, sur lequel il faudra monter les cylindres et autres pièces provenant du moteur hors d’usage, à condition de renvoyer ce dernier. Coût : 150 livres. Le nouveau moteur arrive le 2 mars mais, en raison des lenteurs de la douane, ne peut être livré que le 6 mars à la RAF, qui accepte de faire la réparation.
Le 21 mars, quinze jours après la livraison du moteur, la réparation n’est pas terminée, et le travail est mal fait : un cylindre est même remonté de travers. Hélène Boucher transfère l’avion à l’Iraq Air Company, dont les mécaniciens sont dans l’obligation de tout défaire et de recommencer le montage. Le collecteur d’admission envoyé par Cirrus Hermes (pour un coût de 9 livres) est également remplacé.
Le 31 mars, Cirrus Hermes rappelle ses dettes à Hélène Boucher. Entre la réparation du moteur après l’accident de 1932 et le dépannage à Bagdad, il reste près de 204 livres à payer. Il y aura de nouvelles relances en mai et juin. Mais Hélène Boucher ne semble pas du tout disposée à payer !
Pour confier son avion à l’Iraq Air Company, elle a dû signer un document dégageant la RAF de toute responsabilité pour la suite du voyage. Le consul de France à Bagdad semble, d’après elle, avoir « une peur terrible des anglais », et lui « demande constamment de rentrer en France car il craint que sa responsabilité ne soit engagée en [la] laissant continuer [son] voyage. ». Elle ajoute, manifestement ulcérée : « Il n’a jamais tenu compte de mes réflexions sous le prétexte de ma jeunesse ! ». Elle adresse un courrier aux anglais de la RAF en les remerciant de leur aide précieuse, et souhaitant que tout pilote anglais en difficulté en France y soit traité comme elle l’a été à Bagdad. L’ironie cinglante de cette lettre a-t-elle été perçue ?
Sans aucune aide, Hélène Boucher a parfaitement réussi à se sortir de ce mauvais pas, mais six semaines ont passé. L’Avro, bien que réparé, ne lui inspire plus confiance ; le climat commence à changer à Saïgon, rendant difficile la suite du raid et le retour. Elle décide alors de sa propre initiative, et non sous la pression de la RAF et du consul de France, de rentrer à Paris.
Le 7 avril, départ vers le Bourget, via Damas, Le Caire, Almaza, Marsa Matrouh, Tobrouk, Benghazi, Tripoli, Gabès, Sfax. Le 17 avril, elle assiste au meeting de Sfax organisé par l’Aéroclub de Tunisie. Le 18 avril, départ pour Tunis, Palerme, Naples, Rome, Marseille, Lyon. Arrivée au Bourget le 29 avril à 18 h.
Elle a parcouru 11 285 km, en 88 h 05 mn de vol. Le 30 mai 1933 elle vole pour la dernière fois sur son Avro, qu’elle ramène à Croydon, où elle demande à Henlys de le revendre.
Premiers succès et records à bord d’un avion Mauboussin
N’ayant plus d’avion à sa disposition, Hélène Boucher se met à la recherche d’un nouvel appareil. En juin 1933, elle rencontre Pierre Mauboussin qui accepte de mettre un avion Mauboussin‑Peyret à sa disposition, sous le contrôle de Fred Nicole, premier pilote. Hélène Boucher doit prendre à sa charge l’entretien, le carburant et l’assurance. Une participation en juillet aux 12 Heures d’Angers est envisagée.
En attendant, Hélène Boucher continue de voler comme elle peut. Le 4 juin, elle fait un aller-retour à Epernay, à bord d’un DH60G Gipsy Moth prêté par une américaine résidant à Paris, Evelyn Frost, immatriculé G‑ABDV. Le 25 juin, elle va au meeting aérien de Saint Etienne sur un Caudron 128/2 biplace F‑AJMP appartenant à la Société pour le développement de l’aviation.
Du 27 au 29 juin, elle effectue avec Fred Nicole ses premiers essais à Orly sur un Mauboussin PM XII immatriculé F‑ALVX, en vue de participer aux 12 H d’Angers. Le 1er juillet, elle s’envole d’Orly vers Angers sur un Mauboussin‑Peyret Corsaire 120/32 doté d’un moteur Salmson 9 Adr de 9 cylindres en étoile développant 60 CV, immatriculé F‑AMOZ.
Le dimanche 2 juillet 1933, elle participe comme prévu aux 12 H d’Angers : l’épreuve comprend trois manches consécutives de quatre heures. Elle pilote seule, avec Edmée Jacob comme passagère. Cette dernière, qui sera plus tard elle aussi pilote et connue sous son nom d’épouse, Edmée Jarlaud, n’a en effet pas encore sa licence.
Hélène Boucher est la première femme à terminer cette épreuve. Elle termine à la quatorzième place, juste derrière Fred Nicole, le chef pilote de Mauboussin‑Peyret. Sa performance, bien que modeste en raison de la faible puissance de sa machine (60 CV), est largement saluée par le public qui lui fait un triomphe.
Elle remporte un prix de 6 000 F, partagé avec sa passagère. Elle rencontre à cette occasion Michel Détroyat pour la première fois : c’est un as de la haute voltige qui jouera, on le verra, un rôle essentiel dans la suite de sa carrière.
Courant juillet, elle effectue de nombreux vols d’entraînement à bord du Mauboussin F‑AMOZ qu’on lui a prêté. Le 9 juillet, elle participe au Rallye « Arrow » de Châteauneuf en Thymerais (Eure-et-Loir).
Le pilote André Maillet ayant mis Hélène Boucher en relation avec Michel Détroyat, ce dernier accepte de la prendre comme élève à l’école de haute voltige Morane de Villacoublay. Rendez-vous est pris pour un premier essai le 3 août.
Hélène Boucher a en effet programmé une tentative de record le 2 août à Orly. Et, effectivement, dûment équipée pour affronter le froid polaire qui règne en altitude, elle emporte le record du monde féminin d’altitude sur avion léger, à 5 900 m.
Le premier essai de voltige à Villacoublay, le lendemain, ne la décourage pas, bien au contraire. L’entraînement intensif commencera en septembre. En attendant, le Mauboussin vole toujours : aller-retour Auxerre les 5 et 6 août, aller-retour Berck les 9 et 10 août. Le 15 août, Hélène Boucher participe au meeting de Challes‑les‑Eaux, où elle rencontre Pierre Cot, ministre de l’Air, lui-même pilote et élève de Michel Détroyat en haute voltige.
Du 29 au 31 août, elle participe au rallye de l’Aéroclub d’Auvergne avec Mme Gaisman comme passagère : Orly, St Inglevert, Berck sur mer, St Quentin, St Inglevert, Beauvais, Le Havre, Orléans, Orly, Auxerre, Orléans, Le Bourget, Tours, Angers. L’aventure se termine à Angers, alors qu’Hélène Boucher était en tête, en raison d’une rupture de béquille du Mauboussin.
Entre temps, Cirrus Hermes s’était à nouveau manifesté pour réclamer des pièces de rechange de l’Avro, emportées pour le raid à Saïgon mais soi-disant ni rendues ni payées. Il y aura deux lettres identiques le 29 septembre et le 23 octobre, auxquelles Hélène Boucher ne répondra pas : lesdites pièces étaient tout bonnement restées dans le coffre de l’avion, ce que Cirrus Hermes reconnaîtra en décembre 1933, ne se grandissant certainement pas dans l’estime d’Hélène Boucher !
La haute voltige
Hélène Boucher a repris ses cours avec Michel Détroyat en septembre, et ses progrès sont si rapides qu’on envisage pour elle une première présentation en public dès le mois d’octobre. Une rencontre de haute voltige est en effet organisée le 8 octobre à Villacoublay. Michel Détroyat est opposé à l’allemand Gerhard Fieseler et l’emporte sur lui.
Viennent ensuite deux démonstrations d’acrobatie aérienne : Hélène Boucher puis l’aviatrice plus expérimentée Vera von Bissing, qui obtiennent toutes deux un grand succès. Hélène Boucher pilote l’avion sur lequel elle a fait son apprentissage de la voltige, un Morane-Saulnier 230, immatriculé F‑AJMF. Elle touche une prime de 3 000 F.
Le 11 décembre 1933 Hélène Boucher décide d’acheter un avion adapté à la voltige, un Morane-Saulnier 230 d’occasion de 1931, immatriculé F‑AJML, qui appartenait à Léon Sternberg d’Armella. Elle reçoit pour cela une importante aide financière de la part de Michel Détroyat (25 000 F) et s’engage à payer la facture de réparation du moteur Salmson 9Ab de 230 CV. Elle recevra en effet une facture de 15 000 F de la part de Salmson en janvier 1934, qu’elle paiera en trois versements.
L’année 1934 commence donc sous les meilleurs auspices pour Hélène Boucher, et sa carrière prend une forme encore plus professionnelle.
Le 1er mars 1934, l’office commercial aéronautique (OCA) propose à Hélène Boucher un contrat pour la représenter et défendre ses intérêts. Elle a donc désormais un « agent » : Pierre Sirbain ! Celui-ci lui trouve des engagements, et lui prend 5 à 6 % de ses cachets. Ce contrat sera très bénéfique pour Hélène Boucher.
Le 7 mars, après améliorations et mises au point, le MS 230 immatriculé F‑AJML reçoit son nouvel accord d’immatriculation. Hélène Boucher effectue à son bord un premier voyage le 1er avril : Orly-Lyon-Marignane, avec retour le 3 avril.
Nouvelle étape importante le 10 avril suivant : elle s’achète une belle voiture, une occasion de 1929, certes, mais qui ne manque ni d’allure ni de vivacité : un cabriolet Chrysler de Soto K1194 de 16 CV et 2,9 l de cylindrée, immatriculé 3752 RG 9.
L’agenda des mois d’avril et mai 1934 est particulièrement bien rempli.
Le 29 avril, à Vincennes, Hélène Boucher sur son MS 230 affronte l’allemande Liesel Bach lors d’une Coupe féminine d’acrobatie aérienne organisée par Le Petit Parisien et Air Propagande. Elle l’emporte dans la première manche mais s’incline dans la seconde et Liesel Bach l’emporte aux points. Grand succès populaire pour Hélène Boucher, qui touche une prime de 5 000 F. L’Empire Oil Company lui versera aussi 500 F en juin 1934 et l’Aéroclub de France 800 F en juillet.
Le 6 mai, elle participe au Grand Gala des Ailes Franco-belges à l’aérodrome d’Ans (Liège). La veille, réception à l’Hôtel de Ville et soirée de gala au Théâtre royal de liège. Elle perçoit 5 000 F.
Le 20 mai, elle fait une exhibition de haute voltige à Gand. Elle perçoit 4 500 F.
Le 27 mai elle fait une exhibition d’acrobatie aérienne lors d’un meeting à Lisieux à bord du Morane 230. Il y a, ce jour-là, une présence remarquée de Caudron avec ses avions Phalène et Luciole. Elle perçoit 6 000 F.
Signalons que, ce même 27 mai, la coupe Deutch de la Meurthe voit le triomphe des avions Caudron Renault dessinés par Marcel Riffard : ils emportent les 3 premières places. Le vainqueur, Maurice Arnoux, pilote le Rafale C450 n° 13 qu’Hélène Boucher pilotera elle-même un peu plus tard.
Signalons aussi que lors d’un meeting à Vincennes les 9 et 10 juin, organisé par le Petit Parisien, le pilote portugais Plácido António da Cunha Abreu trouve la mort dans un accident : son avion, inadapté à la voltige, se disloque à 50 mètres du sol et chute violemment. Hélène Boucher participera plus tard à un meeting au Portugal en sa mémoire.
Le 3 juillet, elle se rend à un meeting aérien à Bruxelles. La veille, réception à l’Hôtel de ville puis souper dansant au château de Val Duchesse, sur invitation du ministre de la défense nationale belge. Déjeuner le dimanche offert par l’Aéroclub. Hélène Boucher ne fera qu’une seule exhibition. Elle touche 4 200 F.
Hélène Boucher devient pilote officielle de Caudron‑Renault et la femme la plus rapide du monde
Le 12 juin 1934, Hélène Boucher pilote un Rafale pour la première fois au Bourget devant l’état-major de Caudron Renault. Il s’agit d’un Rafale biplace C430, immatriculé F‑AMVA et doté d’un moteur à 4 cylindres en ligne Renault Bengali de 120 CV et de 6,3 l de cylindrée. En compétition avec Maryse Hilsz pour un poste de pilote chez Caudron Renault, Hélène Boucher, ayant brillamment réussi son essai, sur un avion pointu à piloter et qu’elle ne connaissait pas, se voit offrir un contrat de pilote officiel pour un salaire de 2 200 F par mois.
Renault lui donne en outre un roadster Vivasport six cylindres 21 CV, qui remplace la de Soto. Cette voiture a été dessinée par l’ingénieur Marcel Riffard, le concepteur des avions Rafale.
Hélène Boucher doit, en contrepartie, participer à des actions de communication de Renault et Caudron.
Le 1er juillet, elle participe avec son Morane à la Grande Fête des Ailes à Anvers.
Elle perçoit 4 500 F.
Le dimanche 8 juillet Hélène Boucher participe aux 12 Heures d’Angers 1934 sur un Caudron Renault Rafale biplace C530 immatriculé F‑ANAO. Ce modèle est dérivé du C430 qu’elle a déjà piloté lors de son premier rendez-vous avec Caudron-Renault. L’envergure est portée à 9,20 m (au lieu de 7,70 m)pour le rendre plus facile à piloter, et le moteur est poussé à 140 CV.
Sa passagère, qui ne pilote pas, est Marie-Louise Becker.
Hélène Boucher se classe deuxième derrière l’équipage Lacombe et Trivier (également sur Rafale), qui se sont relayés à deux pour piloter lors des trois manches de quatre heures. Elle partage son prix avec Caudron et Renault, et touche 7 600 F.
Elle bat aussi à cette occasion le record féminin et masculin de vitesse sur 1 000 km sur avion léger de première catégorie à 250,086 km/h.
Le ministre de l’Air, le général Denain, lui envoie une lettre de félicitations pour sa brillante participation aux 12 h d’Angers.
Quelques jours après, le 18 juillet, Cirrus Hermes rappelle fermement à Hélène Boucher sa dette de 204 livres. Il semble qu’elle ait d’autres projets que de rembourser…
En effet, ce même jour, elle achète un Morane Saulnier 361, doté d’un moteur Renault 4Pei de 4 cylindres en ligne inversés développant 140 CV. Le moteur est prêté par Renault. Confidentiellement, Morane Saulnier, conscient de la publicité dont la firme bénéficiera, lui accorde une remise de 10 000 F sur le prix de 46 000 F. Hélène Boucher fera trois versements, 3 000 F le 25 juillet, 7 000 F le 4 août, et 26 000 F le 1er novembre. L’avion sera immatriculé F‑ANKA. Elle effectuera son premier vol sur cet avion le 30 octobre 1934.
Elle a repris ses entraînements quotidiens sur son Morane F‑AJML, qu’elle n’a pas encore revendu, dès le 13 juillet et, le 29, elle se rend à son bord à Lyon pour une exhibition de voltige.
Le meeting est organisé par l’Aéroclub du Rhône et du Sud-Est. Elle y rencontre à nouveau Liesel Bach et perçoit 7 000 F pour sa prestation.
Le mois d’août 1934 restera dans les mémoires comme celui de tous les records de vitesse à bord du Rafale.
Le 8 août, à Istres, elle prend place sur le Caudron Rafale C450 n° 13 avec lequel Maurice Arnoux avait gagné la coupe Deutsch de la Meurthe en mai. Cet appareil est taillé pour la vitesse. Son envergure n’est que de 6,75 m, la surface portante n’est que de 7 m², et le moteur 6 cylindres de 8 l avec compresseur développe 310 CV. Son poids à vide n’est que de 520 kg.
Dès le premier jour, Hélène Boucher bat le record international de vitesse masculin et féminin toutes catégories sur 1 000 km à 409,200 km/h, et le record international féminin toutes catégories sur 100 km à 412,371 km/h. Le 9 août, le ministre de l’Air, le général Denain, envoie un télégramme de félicitations à Hélène Boucher pour ses deux records de vitesse du 8 août.
Mais elle considère qu’elle peut mieux faire, notamment si la piste est mieux balisée, pour mieux négocier les virages. Et effectivement, dès le 10, elle s’octroie le record féminin de vitesse sur base rectiligne de 3 km à 428,233 km/h. Encore mieux, le 11 août, elle porte ce record à 445,028 km/h.
C’est la femme la plus rapide du monde qui reçoit, le 14 août, un nouveau télégramme de félicitations du général Denain !
Une féministe engagée
À de nombreuses reprises, Hélène Boucher avait affirmé que les femmes pouvaient faire aussi bien, voire mieux que les hommes. Et, à sa façon, elle le prouvait…
Le 26 septembre 1934, la célèbre féministe Louise Weiss demande à Renault d’autoriser Hélène Boucher à participer au meeting organisé le 8 octobre à Bordeaux en faveur du vote des femmes, et de payer ses frais de déplacement. Renault répondra très favorablement à Louise Weiss le 28 septembre. Christian du Jonchay, l’interlocuteur chez Caudron-Renault d’Hélène Boucher, est sans équivoque ; il écrit à Louise Weiss : « Mademoiselle Hélène Boucher a poussé bien loin le scrupule, en souhaitant avoir notre avis avant de participer à la manifestation que vous organisez à Bordeaux. Elle est, naturellement, libre de s’y rendre. Je lui écris par le même courrier pour le lui dire. Ses frais de transport sont un détail et, si le temps le permet, elle disposera toujours chez nous de l’appareil qu’elle désire ». Et il écrit à Hélène Boucher : « Vous ferez, naturellement, ce que vous voudrez ».
Certains ont écrit que les femmes pilotes hésitaient à s’engager aux côtés de Louise Weiss à cause des réticences de leurs employeurs. Pour Hélène Boucher, ce n’est manifestement pas le cas.
Elle va donc à Bordeaux le 8 octobre 1934, où elle prononcera un discours en compagnie de Maryse Bastié et Adrienne Bolland : « Nous pilotons des Rafales, mais nous restons des mineures[…] Sommes-nous plus que nos camarades masculins immunisées contre les accidents et tous les risques de l’air ? Oui, féministes nous le sommes parce que féminisme est synonyme pour nous de justice et d’équité ».
Une aviatrice qui gagne bien sa vie
Il est vrai qu’à ses débuts Hélène Boucher n’avait pas une grande aisance financière. Ses économies (elle avait travaillé quelques années après la fin de ses études), la bourse de l’Aéroclub des Landes et l’aide financière de ses parents suffisaient à peine à payer sa formation et subvenir à ses besoins.
Par la suite, elle a reçu manifestement d’autres soutiens, dont vraisemblablement de la part de la famille Van Mullem. M. Van Mullem, à la tête d’une entreprise du bâtiment, était un ami du père d’Hélène Boucher, architecte ; il avait même fait étudier la possibilité de financer une assurance sur la vie pour elle. Noël Boucher, frère d’Hélène, lui avait sans doute aussi prêté de l’argent. Nous avons vu enfin qu’une aide financière importante avait été apportée par Michel Détroyat.
Hélène Boucher a su aussi trouver des financements d’entreprises à plusieurs occasions. Elle a donc pu acheter des avions, les entretenir, financer ses voyages, et faire face aux conséquences des pannes et accidents.
On a dit et écrit que le coût de remise en état de son Avro l’avait grandement préoccupée jusqu’à sa fin. C’est manifestement exagéré. Elle n’a surtout jamais voulu payer les factures du motoriste, Cirrus Hermes, considérant que le moteur fourni n’était pas fiable.
Le 31 août 1934, Cirrus Hermes avait une dernière fois rappelé sa facture de 204 livres, avec menace de poursuites. Hélène Boucher, à cette époque, avait largement de quoi payer, mais elle ne le voulait pas, tout simplement. Le 10 octobre, grâce à la médiation de la firme Henlys, avec qui elle avait toujours entretenu de bonnes relations, une solution est trouvée ; les poursuites engagées par Cirrus Hermes sont suspendues, et l’Avro est cédé pour 150 livres pour solde de tous comptes : 50 livres pour Henlys, 100 livres pour Cirrus Hermes. L’affaire Avro s’arrête enfin sans qu’Hélène Boucher n’ait rien déboursé de plus. L’avion maudit, revendu, sera rapidement détruit dans un accident en Italie le 23 octobre 1934.
En 1934, grâce à son recrutement par Caudron-Renault et les contrats apportés par Pierre Sirbain, son agent, Hélène Boucher gagne bien sa vie. Elle a calculé elle-même par exemple qu’elle a touché au total 41 500 F pour ses records de vitesse à Istres (30 000 de Renault, 5 000 de Castrol, 5 000 d’Empire Oil, 500 du fournisseur de bougies KLG et 500 de l’entreprise de peinture pour avion Clément Rivière). Caudron-Renault lui verse 2 200 F par mois, et Pierre Sirbain lui a fait gagner plus de 36 000 F en quelques mois de 1934.
Cette aisance financière permet à Hélène Boucher de changer son mode de vie. Elle loue et fait aménager, à partir du 1er novembre 1934, un appartement dans un bel immeuble de style Art Déco à Boulogne, face au Parc des Princes, 52 rue de la Tourelle, où elle n’habitera jamais.
Elle n’hésite pas non plus à s’habiller élégamment dans les meilleures maisons de Paris, qu’elle connaît bien : elle a dépensé plus de 10 000 F entre 1933 et 1934 dans une boutique de la place Vendôme, sans compter ses dépenses chez Worth et ailleurs.
Aviatrice célèbre et comblée d’honneurs, femme d’affaires efficace, féministe et féminine, confiante dans l’avenir sans mésestimer les risques de son métier : telle est Hélène Boucher en ce début du mois de novembre 1934 qui lui sera fatal.
Novembre 1934 : les dernières lueurs d’une météorite
Le 4 novembre 1934, Michel Détroyat, son épouse et Hélène Boucher partent de conserve pour Lisbonne à bord de leurs avions respectifs. Ils y arrivent le 7 et y séjournent quelques jours, avant de s’envoler pour Porto.
Le 11 novembre, Hélène Boucher fait à Porto une démonstration de voltige lors d’un meeting organisé par le Petit Parisien pour venir en aide à la famille du lieutenant Plácido António da Cunha Abreu, mort accidentellement lors du meeting de Vincennes en juin.
Le voyage de retour est difficile, en raison du mauvais temps. Les avions restent à Burgos, et la fin du voyage, le 15 novembre, s’effectue en train.
Le lendemain, 16 novembre, commence à Paris au Grand Palais le 14e salon de l’aviation, dont Hélène Boucher est une des vedettes. Le Rafale n° 13 des records de vitesse y est présenté au public.
Le 27 novembre, Hélène Boucher reçoit de Renault une invitation qui lui sera fatale. Elle doit déjeuner le 29 novembre chez Renault. Christian du Jonchay lui écrit galamment : « Voulez-vous nous faire l’honneur de déjeuner encore avec nous […] le jeudi 29, pour irradier de votre présence cent Suisses, qui viennent de Genève pour vous voir. D’autre part, je vous préviens que nous vous demanderons, samedi après-midi, si le temps le permet, de bien vouloir faire une démonstration sur Rafale au terrain de Guyancourt. ».
Le repas a bien lieu le 29 novembre. Le 30, Hélène Boucher quitte dans l’après-midi le salon de l’aviation pour aller reprendre en main le Rafale, qu’elle n’a pas piloté depuis ses records du mois d’août à Istres. Le modèle de Rafale est ce jour-là le biplace C430 immatriculé F‑AMVB, dont elle a déjà piloté le jumeau F‑AMVA lors de ses premiers essais chez Caudron-Renault en juin. Moins difficile à piloter que le C450 des records de vitesse, il a toutefois une envergure plus réduite (7,70 m) que le C530 des 12 h d’Angers (9,20 m).
À Guyancourt le temps est mauvais, il y a du brouillard. Tout le monde lui déconseille de voler, à commencer par Raymond Delmotte, le premier pilote et pilote d’essai de Caudron‑Renault, avec qui elle doit faire la démonstration prévue le lendemain. Elle insiste et décolle quand-même.
Le Rafale, en raison de sa forme et de la position très en arrière du poste de pilotage, n’offre pas une bonne visibilité au pilote, surtout quand il y a du brouillard. Au moment d’atterrir, ayant sorti les volets d’intrados qui ralentissent l’avion et améliorent la portance à faible vitesse, Hélène Boucher s’aperçoit qu’elle sera « trop longue ». Elle ne se pose pas, remet les gaz en laissant les volets sortis, effectue un large virage, se représente à nouveau dans l’axe de la piste. À cette deuxième présentation, elle est à faible vitesse mais cette fois « trop courte ». Des témoins l’ont entendue remettre les gaz brutalement pour tenter de relancer l’avion. Dans une notice destinée aux pilotes du Rafale, Raymond Delmotte les mettait en garde contre les effets de couple du moteur, qui avaient tendance à faire basculer l’avion en sens inverse du sens de rotation de l’hélice.
Il est probable que c’est cette remise de gaz qui fait basculer le Rafale (début de virage engagé, autorotation ou vrille), qui s’écrase alors sur le sol au lieudit « La Croix du Bois ».
Lorsque les secours arrivent, Hélène Boucher est encore en vie mais inconsciente. Elle mourra dans l’ambulance qui l’emmène à l’hôpital, dans la côte de Satory, comme l’indique son acte de décès.
Les obsèques et la sépulture d’Hélène Boucher
La dépouille d’Hélène Boucher est exposée à l’hôpital de Versailles, où elle est veillée toute la nuit par ses amies aviatrices, mobilisées par Maryse Bastié. Elle est ensuite transportée aux Invalides, où son cercueil est exposé pendant deux jours.
Elle est citée à l’ordre de la Nation le 2 décembre et, le 4, la Légion d’honneur lui est décernée à titre posthume ; la croix est exposée devant un grand portrait de l’aviatrice.
Une messe a lieu solennellement le 4 décembre dans la chapelle St Louis des Invalides, puis le convoi se dirige vers Yermenonville.
Quelques jours après, le 6 décembre, le journal Le Jour annonce la constitution d’un comité de souscription pour élever un monument en souvenir d’Hélène Boucher. Le comité est présidé par le Général Denain, ministre de l’Air, et animé par Michel Détroyat.
Un an exactement après la mort d’Hélène Boucher, les deux hommes, manifestement très émus, se retrouveront dans le cimetière d’Yermenonville pour inaugurer ce monument.
Le père d’Hélène Boucher, Léon Boucher, architecte, très atteint par la mort de sa fille, trouve tout de même les forces nécessaires fin 1934 pour s’occuper de la réalisation du monument.
Il organise une sorte de concours auprès de ses amis architectes. C’est l’architecte G. Letellier qui est choisi, et qui va diriger le chantier. Un marbrier de Maintenon, Eugène Guilvard construit le monument en pierre d’Euville.
Un buste d’Hélène Boucher en bronze est réalisé par le sculpteur Georges Guérard.
Tous les frais sont payés par Michel Détroyat, avec les fonds collectés par le comité de souscription, et les compléments accordés par la Fédération aéronautique. Le terrain dans le cimetière a été offert par la commune d’Yermenonville.
Le buste en bronze sera volé en 1998, puis remplacé par un buste en pierre de moindre qualité. Le modèle initial en plâtre, retrouvé par la famille de Georges Guérard, et très dégradé (il ne restait quasiment que la tête) a été restauré par le sculpteur Martial Moulin. Un nouveau buste en bronze, semblable à celui d’origine, a ainsi pu être réalisé par la fonderie de la Fondation Coubertin en 2019, grâce à un généreux mécène d’Yermenonville, Monsieur Éric Poul ■