Première « bulle » de la D.A

Face à l’émergence de menaces diverses et variées, l’Armée de l’Air a régulièrement été amenée à mettre en œuvre, dans les décennies passées (avec une nette augmentation depuis les tragiques événements du 11 septembre 2001) des Dispositifs Particuliers de Sûreté Aérienne (DPSA), plus connus, de nos jours, sous l’appellation de « bulles ». L’auteur s’est replongé dans ses souvenirs pour partager avec les lecteurs du Piège la mise en place et le fonctionnement de ce qui constitua probablement la première « bulle » de notre Défense Aérienne.

En 1962, il est convenu que des négociations se dérouleront entre la France et le FLN au mois de mars ; la rencontre aura lieu à l’Hôtel du Parc à Evian. Il est décidé d’assurer la sécurité des conférents contre la menace éventuelle d’un aviateur factieux qui lancerait une bombe afin de troubler la sérénité des discussions, ce qui serait, évidemment, un mauvais point pour nous.

La réalisation du dispositif est confiée à l’état major de la Zone Aérienne de Défense Sud (ZAD Sud) situé à Aix les Milles :

Le Poste de Commandement Air (PCA) et une petite Station Radar de Campagne du type ANTPS 1D sont installés à Amphion les Bains (à quatre kilomètres d’Evian) ; ce radar, d’une technologie déjà ancienne, était utilisé sur la Base Aérienne 725 de Chambéry pour l’instruction (on met ce qu’on a en rayon). Le chef du PCA est un officier supérieur de l’état major de la ZAD Sud. Les contrôleurs d’interception sont deux lieutenants successivement détachés par le Centre de Détection et de Contrôle 10/912 de Giens ; ils sont assistés par quelques opérateurs.

La couverture aérienne sera fournie par les SMB2 de la 5 et par les Vautour II N du 2/30 décollant d’Orange, mais surtout par des SIPA 12. En 1962, les seuls SIPA demeurant en service sont ceux du Centre d’Entraînement des Réserves Ordinaire d’Aix les Milles (CERO 303) ; sept ou huit de ces avions sont déployés à Chambéry. Ils sont mieux adaptés que les « jets » à la menace imaginée, mais quelques passages de ces jets à très basse altitude démontreront à d’éventuels malveillants qu’une musculature plus élaborée participe aussi aux événements.

Les pilotes des SIPA sont presque essentiellement de la 5e EC ; on choisit ceux qui ont une connaissance des avions à hélice récemment acquise en Algérie ; autre avantage de ce choix, ils ont une excellente expérience dans la pratique délicate des mesures actives de sûreté aérienne.

La Base de Chambéry est chargée du support vie et technique du PCA et des SIPA.

Un détachement motorisé de l’Armée de Terre armé de mitrailleuses lourdes protège la DZ où doit se poser l’hélicoptère transportant les négociateurs du FLN qui passent la nuit en Suisse ; leur ouverture du feu dépend du chef du PCA.

Enfin, un notam international interdit momentanément le survol d’Evian dans un rayon de quelques kilomètres.

Le premier contact de l’officier contrôleur avec « son » radar est déprimant : celui-ci est parfaitement aveugle ! Évidemment, l’installation un peu hâtive d’un radar à effet de sol dans une zone montagneuse ne pouvait guère produire autre chose que des échos… de montagnes ! Les mécaniciens de Chambéry sont promptement ramenés sur les lieux pour parfaire leurs réglages et la situation s’améliore un peu mais la surveillance aérienne demeurera difficile, la compétence du contrôleur devant notamment pallier l’absence d’altimétrie et d’IFF.

Les opérations commencent le 7 mars et durent jusqu’au 19 ; pendant ces journées, des couvertures aériennes sont lancées : quatre patrouilles légères de SMB 2, vingt cinq de SIPA et dix sorties de Vautour.

Le 9 mars, un avion inconnu survole Evian, le radar le fait intercepter par « Caniche Bleu », une patrouille de deux SIPA. Toute la chaîne de contrôle tactique est actionnée jusqu’à la Haute Autorité de Défense Aérienne : ordre d’arraisonnement, de tir de semonce… Hélas ! confesse le chef du PCA « …ça n’avait pas été bien glorieux… » car les SIPA n’avaient pas pu tirer, leurs mitrailleuses s’étant enrayées ! Enfin, le Beechcraft suisse intrus, contraint par les SIPA se pose à Ambérieu… ou à Chambéry (peut-être qu’un lecteur du « Piège » s’en souvient ?) où il est accueilli par des gendarmes. Son pilote avoue qu’il vient de Genève et qu’il survolait le lac Léman, qui appartient aussi aux Suisses comme chacun le sait, qu’il n’a pas lu le notam, qu’il s’est posé sur le premier terrain venu parce que les chasseurs français lui faisaient peur et qu’il a déposé plainte par radio auprès du contrôle de Genève pour manœuvres dangereuses de la part des pilotes français. On raconte qu’il a été libéré peu après, suite à l’intervention d’un diplomate suisse ayant surgi au PCA pour assister son ressortissant. Nous n’avions, en effet, pas grand chose à lui reprocher ; l’affaire avait toutefois pris une certaine ampleur puisqu’elle avait motivé une entrevue ultérieure entre le ministre suisse de l’aéronautique et le Général Zads qui avaient conclu que le pilote suisse était coupable et que sa plainte à l’égard des pilotes militaires n’était pas fondée.

Un autre événement « singulier » a animé cette opération. Un matin, un hélicoptère non annoncé suit celui amenant la délégation FLN ; manquant d’information pour clarifier cette situation dangereuse, le chef du PCA retient néanmoins les artilleurs qui ont le doigt sur la détente. Heureusement, car on constate à son atterrissage, près du PCA, qu’il s’agit du trésorier de la base de Chambéry venu rêgler quelques problèmes de finances. Enfin bref, certains de la base aérienne constatent alors qu’une rafale de « pains » est sans doute moins douloureuse que des obus !

On pourra noter, peut-être avec ironie, qu’au cours de cette opération Evian, paradoxalement, la plupart des participants ont eu à protéger des membres du FLN qu’ils avaient combattus peu auparavant (Grandeur et Servitude…).

Conclusion essentielle : mission accomplie, puisque rien de grave n’est arrivé.

Mais on retiendra surtout que la première bulle de la DA a eu lieu à Evian, il y a bien longtemps ! ■

Frise de Noël
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