Skyscrapers

En 1958, la plupart des radars de la Défense Aérienne ont fait l’objet d’importantes modifications : changement des antennes, des émetteurs / récepteurs… ; il s’agissait surtout d’étendre la détection vers la haute altitude.

Habituellement lorsque des nouveaux équipements étaient mis en service, on vérifiait les pronostics des ingénieurs en envoyant des avions explorer les espaces aériens. Or nous ne disposions d’aucun avion capable de voler durablement à 50 000 pieds et plus haut ; seuls les Canberra et, plus tard, les Vulcan et les Valiant de la RAF survolaient notre hexagone à ces altitudes, généralement la nuit pour les vols de groupe.

Ces bombardiers étaient donc susceptibles de nous fournir gratuitement les vols de calibration qui nous manquaient ; il nous suffisait d’en être prévenus à l’avance afin d’avoir le temps de mettre en place les opérateurs devant effectuer des relevés convenables. Des contacts dans ce sens furent pris avec la Grande Bretagne et le Bomber Command nous adressa alors pour ses raids une prévision succincte du genre :

Skyscrapers– 3 february – 21.00 to 00.00 TU– 25 Canberra - 50 000 feet – from Marham to Malte.

Ce n’était certes pas précis comme un plan de vol mais nous avons rapidement appris que les premiers avions arrivaient dès le début du créneau horaire annoncé et que l’itinéraire était invariable : Pas-de-Calais, et tout droit vers le sud-est, à travers les volumes de Doullens, Romilly, Lyon et de Nice.

À Romilly, ils traversaient nos écrans radar selon leur diamétre, à deux ou trois de front, tous bien espacés de 30 à 50 nautiques et étagés jusqu’à 54 000 pieds ; on choisissait les plus élevés pour les « enregistrer » au crayon gras sur la glace des écrans(1). Des longues heures d’un travail minutieux permettaient ensuite de reporter ces tracés sur des grandes pages nécessaires aux comptes rendus. Toutefois nous avons eu, dès les premiers vols, la satisfaction de constater le progrés évident des performances de notre outil principal.

La prévision Skyscraper(2) permettait, en outre, d’animer les mornes soirées et les nuits passées à surveiller les vols arrivant de l’est. Les chefs contrôleurs en avisaient l’OPO de la 30e ECTT, déployée à Tours, pour le tenter ; et, assez souvent, la patrouille de Vautour II N annoncée en mutuelles pour la soirée se transformait en vol de nuit pour une douzaine d’avions que Raki acheminait vers Mazout, Calva et Rambert en embuscade sur l’itinéraire des bombardiers. Ces vols étaient en effet une occasion idéale pour l’entraînement des jeunes contrôleurs. Et quand on faisait le point entre petits chefs, vers une ou deux heures du matin(3), on constatait que nous avions intercepté bien plus d’avions qu’il y en avait eu en vol, évidemment…

Les messages Skyscraper nous ont été adressés pendant des années, bien après que la 30e EC ait quitté Tours pour Creil et Reims(4) d’où les vols des Vautour étaient encore plus efficaces contre ces plastrons. Certains des chasseurs qu’on envoyait vers Rambert se posaient à Orange pour travailler les jours suivants avec Rhodia ou Marius(5). Mais la détection des bombardiers n’avait plus besoin d’être « enregistrée ».


  1. Ce n’est que bien plus tard que nos ordinateurs ont pu enregistrer la détection.
  2. Ce nom est rapidement passé dans l’usage courant.
  3. Les contrôleurs allaient alors dormir ; souvent quelques heures seulement car les SMB 2 et les F84F décollaient avec le soleil ! Heureux temps !
  4. En 1961.
  5. Indicatif de la SMR de Giens, fermée en 1965, à l’ouverture de celle de Narbonne.
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